mardi 6 novembre 2007

Noël s'en vient mourir à Natashquan

Ce dimanche, nous avons eu l’honneur d’accueillir à Natashquan la « queue » de la tempête Noël, celle qui a ravagé les Caraïbes la semaine dernière. La radio nous avait prévenu qu’elle arriverait à hauteur du village dans la nuit de samedi à dimanche, aux alentours de 2h.

La journée de samedi avait été magnifique. Seule une mauvaise nouvelle était venue l’assombrir quelque peu : notre commande de bois avait été annulée de manière assez culottée par notre gars d’Aguanish. On se retrouvait donc à l’entrée de l’hiver sans bois de chauffage. Situation inquiétante certes, mais pas désespérée.

Au programme de la soirée de samedi, agapes et danse country dans le sous-sol de la poste. Guitare, accordéon et déguisement de circonstance, la bière et le gin coulaient à flot, les gigues succédaient aux valses et aux square dances. La journée avait été magnifique, la soirée était délicieuse. Quand nous quittâmes la salle de fête, parmi les derniers, le vent se leva et la neige se mit à tomber comme dans un rêve, pour couronner une nuit mémorable.

Le lendemain matin, nous nous rendîmes jusqu’à l’église pour la messe dominicale. Le vent soufflait comme à ses bons jours et la pluie était lourde et glaciale. Rendu à l’église, nous nous heurtâmes à une porte fermée. Pas de messe. Nous rentrâmes donc chez nous, trempés et transis de froid, pour découvrir que l’électricité avait été coupée pendant notre promenade.

Au Québec, quand il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus rien : plus de chauffage, plus de chauffe-eau, plus de cuisinière, plus de four, plus de frigo, plus de lumière. Je faisais ces découvertes progressivement, tout en essayant de garder un peu de chaleur dans la maison, tandis que dehors le vent redoublait d’intensité.

Une coupure d’électricité, ça se répare, me disais-je, imaginant qu’un petit gars d’Hydro-Québec n’allait pas tarder à nous redémarrer tout ça. Et pendant que tout Natashaquan patientait sereinement devant de beaux poêles à bois et autres cheminées bien fournies, Marie-Ève et moi essayions de lire dans le salon, empilant graduellement nos plus gros pulls les uns sur les autres. À 14h, la température de la pièce devint gentiment intenable. La tempête battait son plein, et nous voyions par la fenêtre la mer rouler d’immenses vagues inquiétantes qui plongeaient toujours plus avant.

Pour ajouter à l’inconfort et au lourd sentiment de solitude, le téléphone avait également été coupé. Incapables de lire, de travailler, de téléphoner ou de jouer au scrabble (entre autres tentatives de s’occuper la tête), nous passions le temps comme nous le pouvions à d’improbables exercices physiques et vigiles à la fenêtre. Nous avions laissé stagner de l’eau dans la baignoire, à l’étage, et seule cette pièce de la maison conservait une température acceptable. Nous nous figions lentement mais sûrement.




À 15h30, la lumière nous quitta (nous étions passés à l’heure d’hiver le matin même). À 16h, nous plongions dans une obscurité terrifiante que je n’avais jamais expérimenté auparavant. Armé de quelques chandelles, nous essayions de garder le moral. La seule idée raisonnable que nous eûmes alors fut de sortir braver la tempête jusqu’à l’épicerie, pour s’acheter des chips et de l’alcool (en priant que le magasin fut resté ouvert). Affublés de combinaisons « bibendums », nous faillîmes être emportés dix fois plutôt qu’une par des vents d’une force incroyable. Heureusement l’épicerie, qui dispose d’un petit générateur, avait laissé ses portes ouvertes. La moitié du village se serrait à l’intérieur et une petite radio réconfortante crachait de l’accordéon festif. La petite employée courait dans tous les sens pour satisfaire les demandes exceptionnelles de ses clients. Elle vendit notamment tout son stock de bougies de Noël et d’huile à lampe. Nous achetâmes une soupe, des chips et du whisky, et récoltâmes quelques informations sur l’avancée de Noël. Apparemment, toute la région de la Côte Nord, de Sept-Îles à Blanc-Sablon, était paralysée sans électricité et sans téléphone. Idem pour la Nouvelle-Écosse. Il ne fallait pas attendre d’amélioration avant le lendemain.

C’est une maison fantôme qui nous accueillît au retour. Le sentiment est étrange : nous rentrons chez nous, au milieu d’objets et d’appareils qui nous sont familiers, qui n’ont pas bougé de place, mais qui, plongés dans la noirceur et devenus inutiles, prennent une dimension grotesque et effrayante.



Nous versâmes la soupe dans un bol que nous tentâmes de faire chauffer avec quelques bougies, riant du ridicule de la situation. Si nous avions eu du bois, tout aurait été tellement plus simple, et plus agréable. Mais notre cheminée n’étant pas ramonée, nous ne pouvions même pas piquer une bûche ou deux à un voisin. Pourquoi alors n’avoir pas accouru chez un ami, pour passer la soirée au chaud ? L’idée nous traversa évidemment l’esprit, mais notre amour-propre prit le dessus. Nous ne voulions pas être le petit couple de citadins incapable de faire face à la première tempête venue. Pas de bois en novembre, je vous le dis, c’est la honte !

Nous retentâmes une partie de scrabble, se réchauffant au whisky et au gin, avalant de grosses poignées de chips au piment, tout en mélangeant notre misérable potage sur chandelles. Avec le recul, ce fut assez amusant. Et puis, nous (re)découvrions les propriétés exceptionnelles de la bougie, qui diffusait, outre de la lumière, un peu de chaleur autour de la table. Notre petite cabane tremblait de tout son bois, vibrait, pleurait sous les assauts du vent qui s’infiltrait entre les planches. Nous n’étions pas peu fiers de son courage et de sa robustesse. Où plutôt, nous lui faisions confiance. Elle en avait vu d’autres.



À 8h, de guerre lasse et transis par le froid, nous bûmes notre potage. Il « chauffait » depuis plus de trois heures et avait atteint une température désagréable que nous pourrions qualifier de « corporelle » : il n’était ni chaud ni tiède, mais un peu des deux à la fois. Armés d’une mini lampe de poche, nous montâmes ensuite dans notre chambre et lûmes à la chandelle en attendant le sommeil. Il n’y avait que cela à faire.

Vers 3h du matin, l’électricité revint dans la maison comme par miracle. Quelques lampes s’allumèrent, le frigo recommença à ronronner. Nous émergeâmes de notre engourdissement avec ravissement. Le vent s’était tu. Par la fenêtre, nous revîmes scintiller l’éclairage public de Natashquan. D’excitation, je ne pus retrouver le sommeil, vagabondant dans les pièces de la maison, qui recouvrait petit à petit son aspect familier et chaleureux.

À 5h, le soleil se levât, et je ne manquai pas une minute de son retour sur Natashquan. Assis sur le banc de la galerie craquant de gel, je le regardai inonder progressivement le village et finir sa course sur la mer redevenue calme et claire.



après la tempête...

La journée de lundi fut merveilleuse. Les oiseaux firent leur réapparition très tôt, les voitures redémarrèrent et le ciel se figea dans un bleu transparent. Il n’y avait plus une once de vent. À 8h, alors que je sortais de ma douche, je découvris un tas de bûches sèches devant la porte de la maison. Et quelques minutes plus tard, un autre tas devant la grange. Quel mystérieux philanthrope avait bien pu nous apporter du bois sans se manifester ? Nous découvrîmes le soir, après avoir téléphoné à certains villageois, que la bonne et généreuse Madame Lise (dont j’aurai l’occasion de vous reparler), nous ayant entendu parler de notre problème de bois lors de la soirée de samedi, avait chargé son frère de nous apporter une corde de secours.

L’école n’ayant pas ouvert ses portes ce jour-là, Marie-Ève m’aida à corder le tout dans la grange. Nous allâmes ensuite boire un bon verre de gin chez le petit Lionel, qui nous déclara qu’en septante-cinq ans à Natashquan, il n’avait jamais vu pareille tempête. La hauteur des vagues, à cette époque-ci de l’année, avaient un caractère hautement anormal.

Mais le principal, n’est-ce pas, était de profiter de cette splendide accalmie que fut la journée de lundi, lumineuse et limpide. À la radio, nous apprîmes que l’on attendait quinze centimètres de neige pour mardi.



Actualité oblige, je reporte la parution d'un article très intéressant sur Radio C.K.N.A., la radio communautaire de Natashquan, que je vous avais préparé pour aujourd'hui. Il sera en ligne en fin de semaine.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Difficile in deed de vous laisser un message...
Que d'aventures ! voulais-je vous dire.
Je vous envie un peu, même si je suis bien au chaud (au bureau !)

Anonyme a dit…

Très intéressant de lire ton histoire qui se situe la ou la planète se termine :P


moi J'habite sur la côte-nord mais au début de ce vaste territoire, les escoumins.

Anonyme a dit…

Je n'ai sans doute pas eu aussi peur que vous.

Mais je vous assure! J'ai frissonné en découvrat, cette nuit, cette partie de votre aventure.

Et alors après la fraîche lumière...

Je me suis dit : "Mon dieu! un bonheur"

Cet abruti d'Afkir, ça le fait chier au fond la lecture. Il l'a pas lu et, de fait n'a rien à en dire. Il préfère les vidéos.