jeudi 31 janvier 2008

Aux villageois de Natashquan

J'avais prévu de publier aujourd'hui la deuxième partie de mon résumé de l'histoire du village, mais je me vois contraint et forcé d'en retarder la parution pour de drôles de raisons : depuis ce matin court dans le village le vilain bruit que certains articles de ce blog seraient méprisants pour les gens de Natashquan, ses commerces et sa radio communautaire. Devant l'ampleur de ce micro-scandale, je tiens donc à présenter mes excuses pour mon manque de clarté, mais également à préciser certaines choses :

1) Ce blog n'a une vocation qui n'est ni commerciale, ni touristique. Il ne s'agit que d'un journal de bord destiné d'abord et avant tout à ma famille et à mes amis, et qui n'a d'autre but que de faire partager mon expérience dans un village "éloigné", situé dans un pays (le Canada ou le Québec) qui l'est également. Je n'ai jamais essayé de faire de la publicité, positive ou négative, pour aucun commerce du village.

2) Je suis l'unique auteur de ce blog. Il n'a aucun lien avec la Copacte, la municipalité ou n'importe quel commerce du village. J'assume l'entière responsabilité des propos qui y sont tenus, me rattachant à la plus élémentaire liberté d'expression, mais suis prêt à rediscuter de certains passages incriminés, à annuler certains passages ou à supprimer purement et simplement ce blog. Mon dernier désir est de faire du remous.

3) Si je parle de magasinage au Havre, ou de musique "country-Côte-Nord", ce n'est que pour décrire ma découverte d'une culture nouvelle, d'une nouvelle manière de vivre. Je ne cherche à aucun moment à dénigrer les commerces locaux, qui fonctionnent très bien vu l'éloignement du village et dont je n'ai jamais eu à me plaindre.

J'espère, une fois ces quelques points clarifiés, faire redescendre un peu la pression, et pouvoir terminer mon séjour dans ce beau village avec le même bonheur qui m'accompagne depuis mon arrivée ici. De nouveau, je présente mes excuses aux personnes ayant mal interprétés mes propos, et suis ouvert à toute discussion.

Guillaume Hubermont.

vendredi 25 janvier 2008

Histoire de Natashquan (1) : les premiers habitants

Les tempêtes sont passées et le froid et revenu. Cette semaine, les températures sont descendues sous les –50°. Le soleil a brillé toute la semaine sur un paradis de glace et de couleurs pâles. J’ai profité du calme pour rédiger maladroitement un petit résumé de l’histoire de Natashquan. Je vous le livre en plusieurs petits chapitres.

Aujourd’hui, vous saurez enfin comment, quand et par qui a été fondé le village.

Les pionniers

Les premiers habitants de Natashquan sont originaires des Îles de la Madeleine. Il s’agit pour la plupart de descendants d’Acadiens qui avaient déjà été chassés d’Acadie par les anglais au milieu du 18e siècle. En 1793, ces émigrés sont rejoints par des familles qui s’étaient réfugiées sur les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Lorsque les Îles de la Madeleine sont confiées en seigneurie à un nommé Isaac Coffin (1806), les Acadiens perdent tous les droits et acquis sur la terre et sont assommés de taxes. De plus l’espace vient vite à manquer et les mauvaises récoltes s’accumulent. Certains habitants des Îles de la Madeleine cherchent donc un nouveau refuge. La Côte Nord, littoral encore vierge et bien connu de plusieurs Madelinots (habitants des Îles) sera la destination d’une centaine de famille. Celles-ci se dirigent d’abord vers Kegaska, et ensuite vers Natashquan et la Pointe-aux-Esquimaux (aujourd’hui Havre-Saint-Pierre). Cette dernière deviendra une véritable petite capitale acadienne au fil des ans.


Les première familles arrivent à Natashquan en 1855, à bord de la goélette La Mouche. Ils sont une vingtaine de personnes et forment le noyau de la nouvelle colonie. Une dizaine de familles les rejoignent l’année suivante. Ce deuxième groupe compte une trentaine d’enfants. D’autres suivront, et on recense en 1861 vingt-et-une familles et cent quinze habitants, parmi lesquelles les grandes familles toujours présentes au village aujourd’hui, comme les Vigneault, les Landry, les Lapierre et les Cormier.

Les pionniers vivent principalement de la mer. Certains ont des bœufs (utilisés comme animaux de trait), des vaches et cochons, d’autres entretiennent un petit jardin. Mais souvent la survie prime sur le reste, et c’est la mer qui fournit aux habitants de quoi subsister l’année durant. Le loup-marin à la fin de l’hiver, et puis la saison des grandes pêches : hareng tout d’abord, morue ensuite et surtout. Celle-ci attirera à Natashquan trois compagnies dès 1858, dont une seule s’installera durablement au village, celle des frères De la Parelle. Cette compagnie emploiera une vingtaine de saisonniers l’été.

Plusieurs mauvaises saisons de pêche se succèdent au début des années 1880. Les pêcheurs s’endettent, et la disette s’installe. La situation est telle qu’en 1886, le curé en place au village propose de déménager le village vers sa patrie d’origine et de la reconvertir à l’agriculture. Une trentaine de familles natashquanaises suivent le curé et partent fonder Saint-Théophile, en Beauce. Mais Natashquan reste debout et la pêche reprend petit à petit.

[À suivre]


Sources :

- FRENETTE (Pierre) & LANDRY (Bernard), Natashquan… Le goût du large, Montréal, Les Nouvelles Éditions de l’Arc, 2005.
- Sur la route de Natashquan, audio guide routier, Natashquan, Copacte, 2005.

samedi 19 janvier 2008

Expressions

Ceux qui me lisent depuis les débuts de ce blog ont certainement pu observer à quel point ma première expérience de la neige a progressivement pris le dessus sur tous les autres volets de mon séjour à Natashquan, comme s’il n’existait plus que l’hiver ici. Et il est vrai que tout autre sujet me paraît dérisoire en comparaison aux douceurs et rigueurs de la saison froide. Si mon but était ici de vous dépayser (je parle à mes compatriotes), il n’y en aurait que pour la neige et la glace. De peur de me répéter, je vous annonce donc qu’au moins deux articles au contenu moins enneigé sont en chantier. Le premier est consacré à la création du village, aux Montagnais et à l’origine des habitants de Natashquan. Le second se concentre sur l’apparition progressive de la vie moderne à Natashquan, du télégraphe à l’Internet. Ce sera pour la semaine prochaine.

Pour passer le temps d’ici là, voici quelques expressions communes de la langue française que je me suis plu à revisiter sous le soleil de Natashquan. Ça a commencé parce qu’un policier me contait à l’Échouerie que sa blonde l’avait quitté pour un autre tandis qu’il chassait sur l’île d’Anticosti. Pour la première fois, je rencontrai quelqu’un illustrant l’adage « Qui va à la chasse perd sa place ».

Et je me suis rendu compte que d’autres expressions prenaient tout leur sens ici. Ainsi, une nuit « baignée de clair de lune » ne saurait l’être plus que de notre jardin. J’ai pareillement pu observer qu’au mois de novembre, quand l’hiver n’est pas encore très sûr de lui, la neige au soleil ou à la pluie « fond comme neige au soleil ».


Les Galets vus de l'Échouerie

Nous avons subi trois grosses tempêtes ces deux dernières semaines. Et rien n’est plus beau que « le calme avant/après la tempête ». La mer s’immobilise, le ciel prend un bleu intermédiaire, le vent disparaît, et le silence le plus profond s’installe sur le village et la plage. Soudain, au fond de l’horizon apparaissent, telles des armadas vikings, d’immenses nuages variant du gris au noir qui, en quelques minutes, atteignent le village et le mettent sans dessus dessous. Neige, grêle, vent destructeur, vagues furieuses, poudrerie aveuglante. Notre maison en bois, qui n’a heureusement pas été construite par un petit cochon, résiste en craquant au souffle dévastateur de l’ouragan. Ça dure une couple d’heures ou de jours. On ferme la route, l’électricité saute, la neige recouvre portes et voitures. Et puis, en quelques minutes, les bourrasques faiblissent, le bleu transperce le gris et le blanc, la mer se calme, la neige retombe en planant sur le sol. Toute cette extraordinaire force enragée s’en va voir ailleurs. Le ciel est bleu, il n’y a plus un bruit. On tente un pied dehors, après avoir dégagé la porte recouverte d’une montagne de neige, Les oiseaux reviennent, on entend plus au loin que les bruits de pelles qui s’affairent à remettre de l’ordre dans le paysage et les moteurs crachotants qui tentent de redémarrer.

Malheureusement, la tempête n’est pas très photogénique. Il faut voir, la nuit, l’éclairage public vaciller sous les colonnes de vent chargées de neige. Il faut prendre une marche plié en deux, sans aucune visibilité, jusqu’à la plage. Faute de pouvoir vous faire ressentir ce déchaînement fabuleux, voici quelques instantanés du « calme avant la tempête » qui a démarré hier vers 17h et qui souffle encore abondamment aujourd’hui.



vues du pont de Natashquan et de l'auberge "Le Port d'attache"

mardi 15 janvier 2008

Plaisirs d'hiver

jeudi 10 janvier 2008

Retour


Mon avion de l'aller et celui du retour

Un voyage en avion jusqu’à Natashquan est toujours chose risquée. Nous en avions entendu parler, nous avons pu le tester lundi dernier. Arrivés à Sept-Îles à bord du premier avion, nous apprenons que notre connexion n’a pas encore quitté Blanc-Sablon, de l’aute côté de la Côte. Plus tard, on nous informe que des « pluies verglaçantes » empêcheront quoiqu’il arrive l’avion d’atterrir à Natashquan dans la journée. Le prochain vol est prévu le lendemain, à 11h20. Nous abandonnons donc nos valises au comptoir d’Air Labrador et prenons un taxi jusqu’à l’auberge de jeunesse, celle-là même où j’avais passé trois heures anxieuses lors de mon premier voyage, avant d’embarquer dans le camion de la poste. À la lumière du jour, et accompagné de Marie-Ève, le Tangon est nettement plus chaleureux que dans mon souvenir. Et on fait contre mauvaise fortune bon cœur, se disant qu’une petite journée de transition ne peut pas faire de mal avant le grand retour à Natashquan. Sept-Îles est glauque, mais ne nous empêche pas de progressivement revenir à nos moutons nordiques, au parler local, au vent de la mer. On en profite pour oublier tout le reste, jusqu’au monde extérieur, à la lumière des niaiseries prodigieuses de Nicolas Asselin, célèbre érditorialiste du Nord-côtier, journal local.

La nuit est réparatrice, et le lendemain matin, le ciel semble plus clément. «N’empêche, le plafond me semble un peu bas », me surprend-je à penser. Un coup de fil à l’aéroport nous rassure néanmoins, le vol YNA 1310 prendra bien le départ.

Pour voir un décollage de l'aéroport de Natashquan, cliquer ici


Et puis on troue les nuages, ou pas vraiment, on reste dedans, et quand on redescend, on aperçoit par le hublot les Galets sur la jetée. À une encablure de là, notre maison bleue nous attend calmement. La piste verglacée n’a finalement aucune incidence sur notre atterrissage.


L'aéroport de Natashquan

Il y a une deuxième chose dont on avait entendu parler, et que nous avons pu tester à notre retour, c’est l’eau qui gèle dans la robinetterie. Malgré le redoux terrifiant de cette semaine (ou bien est-ce ma résistance au froid qui atteint des sommets ?), les tuyaux de la cuisine sont hors d’usage. On attend la visite de notre plombier préféré pour régler le problème, mais moi je m’en fous un peu, pour le moment. Le reste n’a pas bougé, et tout peut recommencer.



Mais avant que ça recommence, avant de repartir pour de nouvelles aventures, il me faut d’abord vous en conter d’anciennes, des d’avant la winterlude, quand la neige était abondante et le froid engourdissant. Il y a d’abord eu le bûcheronnage sous la neige, et tout ce qu’elle camoufle, où j’ai dû apprendre à me déplacer sans savoir ce qui se trouvait sous mes pieds, un marais, une rivière, un tronc d’arbre, le tout en maniant la scie mécanique. Ce n’est pas encore ça, mais se vautrer dans la neige blanche, ce n’est que du bonheur. Et puis quand on bûche, on a chaud. Ca permet de se faire un pique-nique à la parisienne sous –30°, avec vin rouge, fromage et… accordéon. C’est quand on voit notre vin rouge littéralement congeler sous nos yeux que l’on se rend compte qu’il fait froid. Et puis cinq minutes après, on ne sent plus nos doigts, et nos gants sont figés par la glace.




Et puis il y a eu ma toute première promenade en raquette. Dans mon imaginaire, les raquettes étaient comme ces grands chasses-mouches avec lesquels on joue au tennis. Apparemment, ils ont fait des progrès dans le domaine depuis la découverte de l’Alaska, et les raquettes n’ont plus de raquette que le nom. On a refait le chemin du Portageur, la toundra et la forêt de pins, le cœur léger (les ours hibernent), à la tombée de la nuit.



Enfin, le pot de Noël, organisé par nos soins dans notre jardin, autour d’un gros feu et d’un verre de vin chaud à la belge. Les bons vœux aux amis avant le départ pour les fêtes. Et la victoire du vin et du feu sur le froid flegmatique de la fin du jour.



Et entre mille autres choses, les dizaines de « partys de Noël », dont les Québécois sont si friands, plombés de chants mal repris répétés à satiété et de dinde en plastique. À noter l’ambitieux « party des profs » qui avait lieu au Havre-Saint-Pierre, auquel nous fûmes conviés en bus scolaire, Linkin’ Park dans les enceintes, trouant la neige qui tombait dur sur la 138 cette nuit-là.