mardi 25 décembre 2007

Winterlude




J’ai quitté Natashquan dans un prodigieux petit avion de la compagnie Air Labrador. J’ai vu ma maison et la route 138 qui serpente les étendues infinies de mon nouveau pays. J’ai pleuré dans le froid du ciel blanc mes nouveaux horizons. Deux heures plus tard, j’ai atterri à Québec City. Depuis, je cours et je tombe avec mon manteau trop chaud et mes énormes bottes d’astronaute au milieu de la foule méprisante et sophistiquée, que j’avais si bien négligé ces trois derniers mois.

Il y a beaucoup de neige à Québec City, mais elle gêne plus qu’elle n’embellit. Il fait très doux aussi, alors j’ai fini par enlever tuque et mitaines.


Avant Noël, qui commence si tôt en Amérique du Nord, il me semble que j’avais énormément de choses à dire. Toujours à propos de la neige, car il n’existe rien d’autre dans le Nord, rien d’autre qui vaille une mention ici. J’avais énormément de choses à dire sur la neige. Et puis Noël m’a rattrapé, j’ai couru aux quatre coins de mes journées pour danser et boire au son de cloches artificielles, les obligations sociales m’ont éloigné de ma tête et j’ai fini par oublier ce que j’avais à dire. C’est dommage, car des images qu’il me reste, ça devait valoir la peine d’être dit.



Tout ça pour, finalement, ne rien dire. Je vais partir à Montréal, et puis à Toronto, et puis ailleurs peut-être encore. Voir la famille et les amis, me rouler dans la neige noire, boire des bières dans des endroits surchargés, prendre des bus et des trains.



Et puis je reviendrai sur le blog vous parler de raquette, de vin chaud, de feu, de coupe de bois. De tout ce dont je ne peux plus parler en retraite urbaine. Et puis je reviendrai à Natashquan, et on sera le 7 janvier. Et peut-être retrouverai-je la mémoire en même temps que le chant de la mer.




Passez d'excellentes fêtes de fin d'année.



Je vous laisse avec une petite merveille de Noël de mon (si lointain) pays natal. Ca s'appelle Het klokje in de kerstnacht (la petite cloche de la nuit de Noël), la musique est de Ralf Belmans et est interprétée par mon amie Nele Paelinck au violon et sa mère Kathleen De Vylder à la harpe.

dimanche 9 décembre 2007

Jeux d'hiver

"Ah ! comme la neige a neigé" depuis la rédaction de ce billet (fin novembre). Les températures varient maintenant entre -25 et -30°, et la mer charrie de belles plaques de glace...



En fin de semaine, les températures piquaient du nez sous les – 20°. Mais le soleil, la belle lumière nous invitaient à sortir de chez nous. Le vent était froid et sec, la glace crissait sous les bottes.

Nous avons accompagné des amis sur la plage de Natashquan. Ils avaient des cerfs-volants. Pour nous deux, c’était un baptême de l’air.

L’expérience fut d’une rare poésie. Très vite d’ailleurs, comme j’essayai d’apprivoiser l’oiseau de toile, les vers de Leonard Cohen me revenaient en mémoire :

A kite is a victim you are sure of
You love it because it pulls

Gentle enough to call you master

Strong enough to call you fool;

Because it lives

Like a desperate trained falcon

In the high sweet air,

And you can always haul it down

To tame it in your drawer.


A kite is a fish you have already caught
In a pool where no fish come,
So you play him carefully and long,
And hope he won’t give up,

Or the wind die down.


A kite is the last poem you’ve written,

So you give it to the wind,

But you don’t let it go

Until someone finds you

Something else to do.


A kite is a contract of glory
That must be made with the sun,

So you make friends with the field
The river and the wind,
Then you pray the whole cold night before,

Under the travelling cordless moon,

So make you worthy and lyric and pure.
Pour une belle interprétation visuelle du poème, cliquer ici.

Le cerf-volant dansait au bout de ses fils invisibles dans le ciel bleu infini. Souvent, il finissait sa course à toute vitesse dans le sable. Mais progressivement, une étonnante relation s’installait entre le maître et le tissu, avec le vent au milieu, à apprivoiser lui aussi, entre bourrasques et accalmies.

À mesure que le soleil se couchait, le cerf-volant se rapprochait, voltigeant de plus en plus bas, jusqu’à raser les dunes en ronds élégants. C’était presque l’harmonie. À tout le moins, le début d’une belle histoire…




Un nouveau lien, le rapport des conditions climatiques, heure par heure, depuis l'aéroport de Natashquan. Cliquer ici.

mercredi 5 décembre 2007

Novembre ou l'hiver avant l'heure

Lundi 26 novembre, voix nasillarde de la speakerine de CKNA : Aujourd’hui le soleil se lève à 6h48 / le soleil se couche à 15h07 / maximum de –7 pour le jour / maximum de –17 pour la nuit / vents de 20 à 40 km/h avec rafales à 60. 40% de probabilité d’averse de neige. Poudrerie par endroit.



L’hiver est arrivée en avance. Comme au bon vieux temps, celui d’avant la mondialisation du réchauffement climatique.

Novembre à givré, glacé, fondu, reneigé. Le tapis est solide, une trentaine de centimètres. On a sorti l’attirail de circonstance : pelle, traîneau, botte, tuque en laine, mitaines rembourrées, fourrure, raquettes, moisturiser. Ça souffle sec.

La balayeuse passe et repasse. L’Échouerie est remplie : marins, pilotes, infirmiers, policiers, débardeurs. Il n’y aura pas d’avion avant demain. On prend des nouvelles du Nordik Express. Il a 18h de retard. En fait, il n’a pas encore quitté Rimouski ou Blanc-Sablon. C’est pas grave, on reprend un café et, réchauffé par les guitares cubaines, on regarde par la fenêtre les Galets engloutis sous les bourrasques blanches.



Le soleil nous quitte vraiment trop tôt. Alors on se bourre la gueule : du rhum, de la chartreuse, des herbes et des épices. On est entre amis, une table au milieu de nulle part, à des milles du premier coin de ciel. La lune est pleine et son clair nous baigne, on sort, on marche, on se repère aux sapins. On s’enivre de neige.


À droite, petite piste menant à l'aéroport. À gauche, les petites rivières ont déjà gelé.

Dès le lendemain, on sort les ski-doos, sans attendre la glaciation des rivières. Pour le moment, on va se contenter de tourner autour du village. Il y a une belle piste derrière la rue Caillou, qui va jusqu’à l’aéroport. On va réchauffer les moteurs.


C’est Noël avant l’heure, CKNA nous joue les jingle bells. On fait clignoter la cabane pour se donner de la chaleur, et on laisse tourner les moteurs. Le feu crépite dans le poêle. La soupe de légumes surgelés bouille dans le plus grand chaudron. On a mis du cognac dans le café. Et au marché de Natashquan, on joue des reels endiablés.

Novembre n’aura pas beaucoup plu. Il annonce un hiver rude, dur, froid, sec et giboulé. Il annonce au moins ça, c’est blanc, c’est beau, c’est grand. Du coup, Novembre est un peu moins triste, moins abattu qu’à l’habitude. Et du coup, le novembre de Gilles Vigneault ressemble à son frère de Belgique :

Aux fenêtres mélancoliques
Ou rien n’arrive que d’ennui
La pluie insiste avant la nuit
Par des grisailles faméliques

Je suis plus seul et plus nombreux
Que les mots ne sauraient le rendre
Je suis si cruel et si tendre
Que je n’en suis pas malheureux

Je reste à regarder la vie
Couler le long des toits mouillés
Immobile par mes souliers
Que nul chemin plus ne convie

Mon éternité d’apparat
Ne m’ayant fait dupe ni fourbe
Je forme échine d’une courbe
À la mémoire de vos bras.

Le ciel est haut, même s’il dure de moins en moins longtemps. Mais pas de quoi pendre un canal, pour le moment.


Table à l'Échouerie

dimanche 2 décembre 2007

"Sacré Vigneault !"



À propos de Gilles Vigneault, un documentaire original, "Sacré Vigneault", vient d'être diffusé sur les antennes Télé Québec. Vous pouvez visionner des extraits de ce reportage, notamment ceux relatifs à son enfance à Natashquan, en cliquant ici.

Je sais que je fais un peu les choses à l'envers, mais pour ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas encore, je vous promets d'ici peu quelques extraits de son œuvre musicale.

samedi 1 décembre 2007

Brèves d’un village pas comme les autres

Parmi tant d’autres, quelques caractéristiques de la vie à Natashquan (chronique à suivre).

  • La chasse

Dès qu’un chasseur a tiré un orignal à Natashquan, il le fait savoir à la population en paradant avec la tête de la pauvre bête accrochée à l’avant de son pick-up. Les orignaux sont les bestioles les plus courues de la région. Lors du souper annuel « Chasse et pêche » du mois dernier, un concours de « call » (prononcer cââle, de l'anglais « call », appeler) d’orignal avait d’ailleurs été organisé.

La saison de la chasse étant maintenant terminée, le village attend que l’hiver s’installe pour de bon pour débuter la pêche sur la glace, à laquelle je tenterai de participer.

  • La chicoutai

Madame Ida, une charmante villageoise, nous a offert peu après notre arrivée à Natashquan plusieurs pots de confiture, dont l’un contenait de la chicoutai.

Ce fruit, de la famille de la framboise, est aussi appelé plaquebière, ou plus scientifiquement ronce petit-mûrier. Il pousse à une dizaine de centimètres du sol dans des tourbières souvent difficiles d’accès. Sa cueillette est très compliquée : il existe des plans mâles et des plans femelles, mais seuls les plans femelles donnent les fruits. Les plans mâles, qui sont dix fois plus nombreux, ne servent qu’à la fécondité. Il faut donc avoir la patience de chercher les bons plans. Mais aussi, il faut attendre le bon moment pour les cueillir, car les fleurs ne repoussent sur les plans femelles qu’après 3 ans. Ce qui fait de la chicoutai un fruit extrêmement précieux.

  • La bouffe

Toujours dans le registre des choses bonnes à manger, nous avons reçu de nombreux mets incroyables de nos amis, comme du saumon et de la morue venues directement des rivières de Blanc-Sablon, ou encore de délicieux morceaux de caribou de Shefferville.


Le saumon de Blanc-Sablon


  • Le tambour

Pour l’hiver, on ne peut rien laisser dans le tambour, cette petite pièce à l’entrée de la maison, si pratique pour entreposer de la nourriture, déposer les chaussures et pendre les manteaux. Tout gèle. On l’a donc vidée, et on y entrepose désormais notre petit bois de chauffage.



  • Le Rossy



C'est une chaîne de magasins au croisement entre Wibra, Zeeman et Blokker pour les connaisseurs. Une succursale vient de s’ouvrir au Havre-Saint-Pierre et tout le monde au village en parle. Certaines ménagères de Natashquan ont déjà été faire un tour, revenant avec plusieurs centaines de dollars d’achat. Il s’agit, d’après elles, de montrer aux gérants qu’il y a suffisamment de bonnes clientes dans la région pour que le magasin soit rentable. Certaines ont donc confessé avoir acheté des babioles dont elles n’avaient pas besoin, dans l’unique espoir de voir le Rossy rester ouvert dans la région.



  • La coiffeuse

Le Portageur nous l’annonçait, la coiffeuse a fait son retour à Natashquan entre le 12 et le 16 novembre. Brosse et moustache pour monsieur, coupe Jeanne d’Arc pour madame, tout le village y est passé. La coiffeuse du village revient à Natashquan chaque trimestre pour un petit nettoyage de saison.

  • Les restaurants

Il y a maintenant trois restaurants à Natashquan. Mais en hiver, il n’y en a jamais plus d’un ouvert à la fois. La Goélette a fermé début octobre, John Débardeur (du nom d’un débardeur du village rendu célèbre notamment par Gilles Vigneault) a tenu jusqu’au début du mois de novembre, et depuis, l’Échouerie a pris le relais. Située juste au bord de la plage, à 50 mètres de chez nous, celle-ci est un véritable petit restaurant, proposant deux à trois menus tous les jours dans une ambiance « marine feutrée ».


L'Échouerie, avec où sans neige.

  • Les Cigarettes



Une absurdité américaine parmi mille autres, les cigarettes à fabriquer avec couvre-filtre séparé. Deux boîtes, dix fois plus de plastique, mais un prix moins élevé (un peu plus de 7$ quand même).

dimanche 18 novembre 2007

La première neige - visite du village

Les premiers vrais flocons de neige sont tombés sur Natashquan en début de semaine dernière. Ils auront, l'espace de 4 jours, recouvert le village d'un tapis blanc quasi-immaculé. Hélas, la pluie et les températures absurdes de cette fin du monde (le thermomètre est remonté au dessus de 12° en fin de semaine!) ont balayé tout cela en quelques minutes de tempête. Voici, immortalisées, des images de ce paradis blanc éphémère. J'en profite pour vous présenter certains des bâtiments principaux de notre communauté.


Notre maison, que vous connaissez déjà.


La grange, après la première salve. C'est là que nous entreposons notre bois. Vous apercevez l'église derrière.


Vue de la route, de gauche à droite : notre maison, la galerie artisanale (ouverte seulement en été), le chalet du petit Lionel, et la grange.



Les Galets, vus du jardin.


La municipalité, avec, à gauche, les studios de Radio C.K.N.A., au centre la bibliothèque, et à droite le bureau de poste.


L'école Notre-Dame des Anges, ou Roger Martineau (célèbre médecin de Natashquan), qui comprend 3 classes de secondaire, 4 classes de primaire et une classe de maternelle.


Le centre du village, au carrefour entre la route 138 et l'allée des Pères Eudistes qui mène à l'école.


L'église et le presbytère, qui sert maintenant de local aux deux policiers du village.


À gauche, la quincaillerie-station-service de Natashquan.
À droite, le Marché de Natashquan, épicerie générale.


N.B. Depuis la rédaction de cet article, la neige est revenue à Natashquan. Il semble cependant que le village et ses alentours subissent un micro-climat bizarre et des températures plus élevées qu'ailleurs. Ceci dit pour modérer les craintes liées au réchauffement climatique exprimées plus haut. Le petit Lionel m'a tout de même confié que les hivers ne sont plus ce qu'ils étaient dans le temps. La véritable neige n'arrivera pas avant janvier.

Gallerie d'artistes locaux

Depuis le jour de mon arrivée à Natashquan, je reçois de nombreux dessins d’élèves de la classe de Marie-Ève. Des portraits surtout, mais aussi des scènes de mon enfance, ou encore des projections de mon incertain avenir. Voici, parmi l'abondante production que je reçois hebdomadairement, une sélection des meilleures œuvres du 2è cycle de l'école Notre-Dame des Anges.

Autoportraits :

Notez le dollar dans le cou, extrêmement tendance, ainsi que le retour de la banane. Ces autoportraits ont été réalisés par Brian et Joël.




Scènes de la vie quotidienne :

Le Ski-doo et la chasse à l'orignal sont les deux activités principales de l'homme de Natashquan. Sortir la grosse artillerie de préférence.




Mariage anticipé :

Le sujet fait jaser les enfants. Les interprétations divergent, mais tout cela respire le grand bonheur.



mardi 13 novembre 2007

La radio de Natashquan et les autres médias

Cet article a été écrit il y a déjà deux semaines, au début du mois de novembre. J’ai depuis appris un certain nombre de choses concernant les médias à Natashquan, qui rendent ces lignes imprécises et lacunaires à plusieurs égards. N’ayant pas le temps de les retravailler, je vous les livre telles quels, vous promettant une « suite » qui contiendra les rectifications qui s’imposent. En attendant, vous trouverez dans cet article certains liens Internet complétant les informations ci-dessous.

Radio

Je l’avais déjà mentionné, Natashquan dispose d’une radio communautaire, radio CKNA 104.1, véritable plaque tournante de l’information au village. C’est la seule radio captable par bande FM. Sur les longues ondes, il est également possible de capter Radio Canada Côte-Nord (qui fêtait justement ses 25 ans d’existence le 1er novembre dernier).

Devenu un fervent auditeur de CKNA, je crois pouvoir dire qu’elle ne dispose que de deux animateurs. Animatrices en fait, qui s’occupent de deux émissions sur la journée : « l’Essentiel », le matin de 7h30 à 10h, et « Bonjour chez vous », de 13h à 15h. Le reste du temps, la fréquence 104.1 est occupée par une autre radio, sélectionnée préalablement par l’animatrice de CKNA (qui s’occupe de la technique en même temps, cela va sans dire). Cela dépend des conditions climatiques : s’il n’y a pas trop de vent, elle nous cale sur Cile-Mf, la radio du Havre-Saint-Pierre. Mais généralement, la réception de celle-ci est d’exécrable qualité et nous sommes presque toujours redirigés vers « Rythme FM » ou « Rock Détente », radios commerciales montréalaises pleine de talk-show consensuels, de bon-sens ménager nationaliste et de chanteuses à voix égorgées. Le décalage ne pourrait être plus grand entre les ignominies de ces radios et la vie à Natashquan. Il est néanmoins bon de ne pas se sentir concerné par un point inforoutier décrivant les embouteillages à l’entrée de Montréal, ou par une publicité pour Ikea. Mais qu’est-ce qu’un habitant de Natashquan comprend à ces sornettes, je n’en sais rien du tout…

Les programmes de CKNA démarrent à 7h30 par les informations de… Radio-Canada Côte-Nord. Vient ensuite la « prière » (voir document sonore 1) : récitation interminable et passionnée du chapelet suivi d’un « chant religieux ». À 8h débute « l’Essentiel » (voir document 2), qui contient tout ce qu’un habitant de Natashquan doit savoir : la météo, l’horaire des marées, les anniversaires du jour, les tirages du loto, l’ « astro-jour » (voir document 3), les rabais de l’épicerie et de la quincaillerie, les petites annonces, l’horaire de la messe et du bingo, etc. Tout le monde s’y retrouve. L’émission de l’après-midi est consacré à l’approfondissement de certains thèmes (actuellement les élections scolaires – présentation des candidats, interviews, etc.) et à certaines rubriques sur la nature, le monde rural, la psychologie et le monde de l’enfant, ou encore des recettes (le jeudi) (document 4) ou un jeu-concours (le vendredi).

Les émissions de CKNA sont généreusement entrecoupées de pièces de folk et de country du meilleur cru. Qu’y a-t-il de plus agréable que ces chansons (toujours en français, évidemment), parlant de chasse à l’orignal, de neige et de motoneige, de marins sur le Saint-Laurent, de blondes délaissées du Havre, d’Acadiens bourrés et de Montagnais mystérieux. Chaque morceau a un rapport direct avec la vie quotidienne sur la Côte Nord. Nous vivons en véritable autarcie musicale, les villageois ne voulant rien entendre d’autre que de la « country Côte Nord ». J’ai pu me rendre compte de l’aura dont jouissent certains groupes locaux à une soirée « chasse et pêche » le mois dernier. Tout le monde connaissait les airs et les paroles de chaque morceau, et au premier mouvement de guitare ou de violon, toute la salle, jeunes comme anciens, montait sur la piste et se mettait en ligne en dandinant le derrière. Malheur au musicien qui se tente à improviser dans un autre style. On peut reprendre du Cabrel si on veut, mais à la sauce country ! Dès que j’aurai mis la main sur certains disques, je vous en ferai profiter sur ce blog.

Radio Canada Côte-Nord, recevable sur les longues ondes, dessert quant à elle un gigantesque territoire allant de Baie-Comeau à Blanc-Sablon, à l’extrémité est de la côte, en passant par Shefferville et Fermont, au Nord. Elle est basée à Sept-Îles. Radio Canada disposait aussi avant d’une télévision locale, mais qui a disparu, paraît-il, suite à des coupures budgétaires en 1990.

Télévision

Marie-Ève et moi avons décidés de ne pas prendre la télévision ici, je ne peux donc vous renseigner sur les spécificités locales de ce média. Je crois néanmoins qu’une station basée au Havre-Saint-Pierre dessert également Natashquan.

Presse écrite


Le Nord-Côtier, le Nord-Est et le Portageur.

À Natashquan-même est édité un petit hebdomadaire gratuit appelé « Le Portageur », comprenant, outre les informations que donne aussi la radio, des compte-rendus d’activités (soupers, fêtes, assemblées générales, etc.) ainsi que des articles de fond sur la vie de la région. Il est distribué à Baie-Johan-Beetz, Aguanish, Île-Michon, Natashquan, Pointe-Parent et Nutashkuan.

Deux autres journaux sont distribués à Natashquan : Le Nord-Côtier, vrai journal d’information locale et le Nord-Est, à vocation souvent plus publicitaire, basés tous les deux à Sept-Îles.



à suivre sur ce blog :
Gallerie de dessins reçus des élèves de Natashquan.
Petits potins de vie quotidienne
Découverte de Natashquan à travers certaines chansons de Gilles Vigneault

mardi 6 novembre 2007

Noël s'en vient mourir à Natashquan

Ce dimanche, nous avons eu l’honneur d’accueillir à Natashquan la « queue » de la tempête Noël, celle qui a ravagé les Caraïbes la semaine dernière. La radio nous avait prévenu qu’elle arriverait à hauteur du village dans la nuit de samedi à dimanche, aux alentours de 2h.

La journée de samedi avait été magnifique. Seule une mauvaise nouvelle était venue l’assombrir quelque peu : notre commande de bois avait été annulée de manière assez culottée par notre gars d’Aguanish. On se retrouvait donc à l’entrée de l’hiver sans bois de chauffage. Situation inquiétante certes, mais pas désespérée.

Au programme de la soirée de samedi, agapes et danse country dans le sous-sol de la poste. Guitare, accordéon et déguisement de circonstance, la bière et le gin coulaient à flot, les gigues succédaient aux valses et aux square dances. La journée avait été magnifique, la soirée était délicieuse. Quand nous quittâmes la salle de fête, parmi les derniers, le vent se leva et la neige se mit à tomber comme dans un rêve, pour couronner une nuit mémorable.

Le lendemain matin, nous nous rendîmes jusqu’à l’église pour la messe dominicale. Le vent soufflait comme à ses bons jours et la pluie était lourde et glaciale. Rendu à l’église, nous nous heurtâmes à une porte fermée. Pas de messe. Nous rentrâmes donc chez nous, trempés et transis de froid, pour découvrir que l’électricité avait été coupée pendant notre promenade.

Au Québec, quand il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus rien : plus de chauffage, plus de chauffe-eau, plus de cuisinière, plus de four, plus de frigo, plus de lumière. Je faisais ces découvertes progressivement, tout en essayant de garder un peu de chaleur dans la maison, tandis que dehors le vent redoublait d’intensité.

Une coupure d’électricité, ça se répare, me disais-je, imaginant qu’un petit gars d’Hydro-Québec n’allait pas tarder à nous redémarrer tout ça. Et pendant que tout Natashaquan patientait sereinement devant de beaux poêles à bois et autres cheminées bien fournies, Marie-Ève et moi essayions de lire dans le salon, empilant graduellement nos plus gros pulls les uns sur les autres. À 14h, la température de la pièce devint gentiment intenable. La tempête battait son plein, et nous voyions par la fenêtre la mer rouler d’immenses vagues inquiétantes qui plongeaient toujours plus avant.

Pour ajouter à l’inconfort et au lourd sentiment de solitude, le téléphone avait également été coupé. Incapables de lire, de travailler, de téléphoner ou de jouer au scrabble (entre autres tentatives de s’occuper la tête), nous passions le temps comme nous le pouvions à d’improbables exercices physiques et vigiles à la fenêtre. Nous avions laissé stagner de l’eau dans la baignoire, à l’étage, et seule cette pièce de la maison conservait une température acceptable. Nous nous figions lentement mais sûrement.




À 15h30, la lumière nous quitta (nous étions passés à l’heure d’hiver le matin même). À 16h, nous plongions dans une obscurité terrifiante que je n’avais jamais expérimenté auparavant. Armé de quelques chandelles, nous essayions de garder le moral. La seule idée raisonnable que nous eûmes alors fut de sortir braver la tempête jusqu’à l’épicerie, pour s’acheter des chips et de l’alcool (en priant que le magasin fut resté ouvert). Affublés de combinaisons « bibendums », nous faillîmes être emportés dix fois plutôt qu’une par des vents d’une force incroyable. Heureusement l’épicerie, qui dispose d’un petit générateur, avait laissé ses portes ouvertes. La moitié du village se serrait à l’intérieur et une petite radio réconfortante crachait de l’accordéon festif. La petite employée courait dans tous les sens pour satisfaire les demandes exceptionnelles de ses clients. Elle vendit notamment tout son stock de bougies de Noël et d’huile à lampe. Nous achetâmes une soupe, des chips et du whisky, et récoltâmes quelques informations sur l’avancée de Noël. Apparemment, toute la région de la Côte Nord, de Sept-Îles à Blanc-Sablon, était paralysée sans électricité et sans téléphone. Idem pour la Nouvelle-Écosse. Il ne fallait pas attendre d’amélioration avant le lendemain.

C’est une maison fantôme qui nous accueillît au retour. Le sentiment est étrange : nous rentrons chez nous, au milieu d’objets et d’appareils qui nous sont familiers, qui n’ont pas bougé de place, mais qui, plongés dans la noirceur et devenus inutiles, prennent une dimension grotesque et effrayante.



Nous versâmes la soupe dans un bol que nous tentâmes de faire chauffer avec quelques bougies, riant du ridicule de la situation. Si nous avions eu du bois, tout aurait été tellement plus simple, et plus agréable. Mais notre cheminée n’étant pas ramonée, nous ne pouvions même pas piquer une bûche ou deux à un voisin. Pourquoi alors n’avoir pas accouru chez un ami, pour passer la soirée au chaud ? L’idée nous traversa évidemment l’esprit, mais notre amour-propre prit le dessus. Nous ne voulions pas être le petit couple de citadins incapable de faire face à la première tempête venue. Pas de bois en novembre, je vous le dis, c’est la honte !

Nous retentâmes une partie de scrabble, se réchauffant au whisky et au gin, avalant de grosses poignées de chips au piment, tout en mélangeant notre misérable potage sur chandelles. Avec le recul, ce fut assez amusant. Et puis, nous (re)découvrions les propriétés exceptionnelles de la bougie, qui diffusait, outre de la lumière, un peu de chaleur autour de la table. Notre petite cabane tremblait de tout son bois, vibrait, pleurait sous les assauts du vent qui s’infiltrait entre les planches. Nous n’étions pas peu fiers de son courage et de sa robustesse. Où plutôt, nous lui faisions confiance. Elle en avait vu d’autres.



À 8h, de guerre lasse et transis par le froid, nous bûmes notre potage. Il « chauffait » depuis plus de trois heures et avait atteint une température désagréable que nous pourrions qualifier de « corporelle » : il n’était ni chaud ni tiède, mais un peu des deux à la fois. Armés d’une mini lampe de poche, nous montâmes ensuite dans notre chambre et lûmes à la chandelle en attendant le sommeil. Il n’y avait que cela à faire.

Vers 3h du matin, l’électricité revint dans la maison comme par miracle. Quelques lampes s’allumèrent, le frigo recommença à ronronner. Nous émergeâmes de notre engourdissement avec ravissement. Le vent s’était tu. Par la fenêtre, nous revîmes scintiller l’éclairage public de Natashquan. D’excitation, je ne pus retrouver le sommeil, vagabondant dans les pièces de la maison, qui recouvrait petit à petit son aspect familier et chaleureux.

À 5h, le soleil se levât, et je ne manquai pas une minute de son retour sur Natashquan. Assis sur le banc de la galerie craquant de gel, je le regardai inonder progressivement le village et finir sa course sur la mer redevenue calme et claire.



après la tempête...

La journée de lundi fut merveilleuse. Les oiseaux firent leur réapparition très tôt, les voitures redémarrèrent et le ciel se figea dans un bleu transparent. Il n’y avait plus une once de vent. À 8h, alors que je sortais de ma douche, je découvris un tas de bûches sèches devant la porte de la maison. Et quelques minutes plus tard, un autre tas devant la grange. Quel mystérieux philanthrope avait bien pu nous apporter du bois sans se manifester ? Nous découvrîmes le soir, après avoir téléphoné à certains villageois, que la bonne et généreuse Madame Lise (dont j’aurai l’occasion de vous reparler), nous ayant entendu parler de notre problème de bois lors de la soirée de samedi, avait chargé son frère de nous apporter une corde de secours.

L’école n’ayant pas ouvert ses portes ce jour-là, Marie-Ève m’aida à corder le tout dans la grange. Nous allâmes ensuite boire un bon verre de gin chez le petit Lionel, qui nous déclara qu’en septante-cinq ans à Natashquan, il n’avait jamais vu pareille tempête. La hauteur des vagues, à cette époque-ci de l’année, avaient un caractère hautement anormal.

Mais le principal, n’est-ce pas, était de profiter de cette splendide accalmie que fut la journée de lundi, lumineuse et limpide. À la radio, nous apprîmes que l’on attendait quinze centimètres de neige pour mardi.



Actualité oblige, je reporte la parution d'un article très intéressant sur Radio C.K.N.A., la radio communautaire de Natashquan, que je vous avais préparé pour aujourd'hui. Il sera en ligne en fin de semaine.