mardi 11 septembre 2007

Le départ

Prendre un avion vers les Etats-Unis un 11 septembre, avec la compagnie même qui s’enfonça dans les Twin Towers en 2001, a ses avantages et ses inconvénients. Certes, le billet est moins cher, l’avion est à moitié vide et le confort maximal, mais la psychose au sol est totale. Dès Zaventem, je dois répondre à un questionnaire dérangeant imposé par les employés flamands d’American Airlines, en anglais bien sûr. Deux fouilles plutôt qu’une, et me voilà parti vers Chicago. Neuf heures de vol sans anecdote majeure ni tracas excessifs, n’était-ce mon voisin de devant qui m’écrase les genoux en sautant sur son siège continuellement.

À Chicago, je n’ai qu’une heure quarante pour attraper ma correspondance vers Montréal. Contrôle serré à la douane, le flic veut absolument savoir ce que je vais faire au Canada pendant six mois. Je lui explique que je prends des vacances mais il n’est pas convaincu, et pendant dix minutes, il m’interroge sur le programme exact de ces vacances, les gens que je connais là-bas, les villes que je vais visiter. Je lui sors ma liste de numéros de téléphone, lui expose le budget dont je dispose de manière aussi détaillée qu’inexacte, lui raconte les liens qui m’unissent au pays et les nombreux passages que j’ai déjà fait au Canada. Finalement, il s’assure que je n’ai pas l’intention de rester aux Etats-Unis, ni d’y repasser pendant ces six mois, prend mes empreintes, tire mon portrait avec une webcam et passe au touriste suivant. Il me reste une heure dix. Je fonce au carrousel récupérer mes valises – elles sont parmi les dernières à arriver – et je me faufile dans la queue pour le check-in. Après des minutes qui semblent une éternité, je dépose mes bagages en vue d’une deuxième fouille et fonce vers le petit train qui m’emmène au terminal des départs pour le Canada. Il ne me reste qu’une trentaine de minutes lorsque j’arrive en bout de queue pour la fouille des bagages à main. Et c’est reparti pour les questions, l’inspection du passeport. Une agente noire me retient alors que je m’apprête à me déshabiller pour la fouille, car ma guitare la dérange. Sa taille n’est pas réglementaire. Je gémis que c’est trop tard pour me l’annoncer, que j’ai un avion à prendre et que la guitare a déjà été contrôlée 3 fois jusqu’ici. Elle me laisse passer, il me reste douze minutes. Je me rhabille en triple vitesse, en nage, les chaussures ouvertes, et fonce vers les écrans pour prendre connaissance de ma porte d’embarquement. Je suis les indications en tentant de me calmer, pensant que plus rien ne peut m’arriver. J’accélère le pas à l’entrée de couloirs qui semblent infinis. Passant devant un écran, je vois qu’il me reste cinq minutes avant le décollage et que les passagers ont déjà tous embarqué dans l’avion vers Montréal. Je galope à en perdre haleine, ma porte est tout au bout du couloir. J’arrive, je suis le dernier passager, mais qu’à cela ne tienne, la fouille recommence, des mains se promènent dans mes habits trempés, mon cœur est au bord de l’implosion. Quand je rentre dans l’avion, le steward est déjà en pleine démonstration des consignes de sécurité. Je m’installe tout au fond et m’endors instantanément.

Je me réveille au décollage. L’avion ressemble à un bus, nous sommes une trentaine de passagers tout au plus. J’ouvre le petit store de mon hublot pour contempler l’Illinois. Je me crois dans Google Earth. Tout est plat, les industries côtoient les quartiers résidentiels pleins de piscines bleues fluorescentes, les énormes highways américaines filent à l’infini, s’emmêlent lorsqu’elles se croisent. Devant moi, la côte et Chicago, la forêt de grattes-ciels démentiels qui projettent leur ombre à des kilomètres. L’avion passe au dessus de petites boules de nuages jouant au soleil et à la pénombre avec la terre. Je reprends mon souffle devant ces étendues incompréhensibles avant qu’elles ne me le coupent.

L’arrivée à Montréal est plus paisible, l’agent de douane se montre avare en détails et me laisse aller après le contrôle du passeport. Je me précipite sur le parking extérieur et m’allume une cigarette pour digérer ces treize heures d’enfermement, même au-dessus des nuages. Des trombes d’eau tombent sur l’aéroport Eliot Trudeau.

Ayant décidé de rejoindre au plus vite la ville de Québec, je ne vois de Montréal que ses ombres, les flèches et dômes verts de ses églises, ses tours de verre, ses résidences bétonnées, ses escaliers muraux et grandes avenues jaunes. A Berri, où je m’étonne de me sentir si à l’aise, j’embarque dans l’Orléans Express à destination de Sainte-Foy, où les parents de Marie-Ève m’attendent. Le retour jusqu’à Saint-Jean Chrysostome s’apparente à une procession. J’aurais pu faire le trajet les yeux fermés, depuis la gare où la silhouette embuée de Marie-Ève se dessine encore précisément dans ma mémoire, en passant par le pont Pierre Laporte, les pierres de la rive Sud, jusqu’à l’entrée de la banlieue américaine où j’avais séjourné deux ans auparavant. Un sandwich et au lit, le lit tant attendu, reconnu, les pieds nus sur le plancher qui craque. De la place Saint-Géry au lit québécois, il y a exactement vingt-quatre heures.

3 commentaires:

Pagaille a dit…

Salut Guillaume,

Je commence à lire ton blog avec grand intrêt..

Tes aventures à la douane me font rire : j'ai eu exactement les même tracas à l'allé comme au retour d'Israël au printemps...

Je me suis d'ailleurs dit que jamais je ne pourrai aller en avion là-bas pour des vacances : organisés comme nous sommes, on serait plutôt du genre à arriver là sans savoir ce qu'on fera l'heure suivante et a fortiori les jours suivants. Concept qu'un agent de douane borné est absolument incapable de comprendre et n'est donc pas reçevable...

J'arrête là mes élucubrations, et je retourne lire ton blog qui m'empêche de travailler !

Bon temps là-bas,

Matthieu

Pagaille a dit…

En plus, être déshabillé par une agente noire... on nage en plein fantasme, de quoi te plains-tu :-))

Anonyme a dit…

... promenade vers Natashquan...
Saint-Laurent
Marie-Eve
Notre-Dame-des-Anges

Gorge-toi de lumière!
Et à bientôt revenir sillonner un bout du monde qui m'a tout l'air d'être enchanteur